non mais quel con. quel con, ce chef. selon lui, être d'astreinte doit signifier être un esclave heureux de se faire réveiller à toute heure pour réparer une putain d'armoire électrique dans ce foutu centre commercial et impossible de se reposer correctement car un connard a décidé qu'il serait toujours ouvert juste pour l'emmerder. steak n'est pas de bonne humeur, et encore moins lorsqu'il se prend dans les dents une petite réflexion au téléphone par son supérieur, lui conseillant de "moins soupirer comme une âme en peine" lorsqu'il croisera des clients.

et cet mec contrôle sa paie. ... il a vraiment hérité du pire boulot, il en est persuadé à cet instant précis où il doit se dépêcher d'enfiler l'uniforme réglementaire des techniciens, si triste, tout en bleu avec le logo du centre commercial, et vite, il faut se démêler les cheveux et tenter de mettre ses chaussettes à l'endroit dans le noir. habitude étrange, il n'allume jamais la lumière quand il se lève. il sait à peu près où sont ses vêtements et les autres choses dont il a besoin pour ménager ses yeux sensibles qui se sentent déjà assez agressés comme ça par son radio réveil qui lui rappelle que non, il ne rêve pas, il est à peine quatre-heure-du-putain-de-matin et il doit se grouiller d'aller au boulot.

tout ça pour des histoires de résistance et de fusibles... ce n'est même pas une tâche qui lui demande de se servir de sa cervelle et de ses compétences techniques c'est juste que... steak est le seul couillon à accepter de se lever à n'importe quelle heure car il n'a pas pensé à vérifier sur google ce que ça voulait dire, "horaires particuliers et astreinte", quand il a signé son contrat, désespéré et ayant vraiment besoin d'un travail même s'il est en dessous de ses capacités, déjà heureux qu'on veuille bien embaucher un type aussi jeune que lui.


le fait de réparer des choses, de changer des ampoules, c'est même plutôt sympa, ça occupe. car ce que l'on n'imagine peut être pas, c'est que faire de la maintenance, ça consiste surtout à attendre que quelque chose tombe en panne pour pouvoir se ramener en roulant un peu des mécaniques. juste. attendre. en baillant, pour le pauvre jeune tiré trop tôt du lit. sauf qu'il suspecte que le talkie walkie accroché à sa ceinture a été bidouillé par son chef pour l'écouter en permanence car lorsqu'il baille trop de fois de suite, il entend une réprimande. alors pour épargner à son chef d'user autant ses cordes vocales, steak décide d'aller prendre un café au starbucks. en plus, ça l'occupera. et ça vient d'ouvrir, c'est à peine 8 heures donc il n'y a sûrement pas de queue du tout. n'importe qui de seul et désespéré comme lui sait que c'est le meilleur horaire, car c'est celui qui permet de discuter avec le barista.

il constate avec satisfaction qu'il est bien le seul, à part ce pauvre mec aussi en train de travailler, qui sera bientôt débordé mais qui pour l'instant n'a pas grand chose à faire. persuadé qu'il lui rend un service en venant briser la monotonie (non), steak approche et s'accoude sur le comptoir avec un sourire aussi large que ses cernes.

salut ! j'veux bien un grand espresso, s'il te plait.

il fredonne un peu, toujours aussi souriant, en attendant la boisson commandée et en observant le type qui la prépare. il est sacrément de bonne humeur alors il remarque avec émerveillement ce mec plus coloré qu'un perroquet qui illumine sa journée. il se dit qu'il faut quand même être sacrément stupide ou sacrément accroché, pour assumer d'avoir une telle couleur, dans ses cheveux... il se retient de trop parler tant que le café n'est pas prêt.

dit, je te vois souvent à des heures bizarres, t'as un deuxième taf ?

oui, bien sûr qu'il tutoie. il rajouterai même un "mon petit" ou quelque chose de ce goût là, s'il n'était pas occupé à ponctuer sa question d'un énorme bâillement. le type doit sûrement avoir son âge et le dépasse d'au moins une tête, mais ça ne l'empêche certainement pas de se considérer comme plus vieux que la majorité des employés de sa tranche d'âge travaillant ici. du coup, il prend vite la confiance et n'en devient que plus familier. un vrai con.

avoir envie de mourir dès le matin, c'était quand même un privilège que seule l'élite avait l'occasion de ressentir. il s'était vite mis à détester ceux qui se levaient d'un bon pied à six heures du matin, ceux qui arboraient un petit sourire dans le tram. bon, ils se faisaient de plus en plus rares, surtout à cause de l'hiver qui niquait la santé d'à peu près tout le monde ces temps-ci, mais tout de même. bryone était souvent souriant, mais le matin, il ne fallait même pas essayer de lui faire arborer son éternel sourire un peu narquois. il n'y arrivait juste pas - pas avant de se retrouver au comptoir du starbucks où son sourire commercial revenait à la charge, de force. ah, oui, là il souriait.

il était tout seul de l'ouverture jusqu'à dix heures - là où ça commençait à se remplir, où les premiers clients allaient débarquer en masse et le faire chier avec leurs noms imprononçables. super. il n'était pas d'humeur, certainement pas aujourd'hui. il avait une journée chargée : quelque chose comme travail jusqu'à midi et puis cours à treize heures, jusqu'à dix-sept heures, et le temps de rentrer, il était dix huit heures. et évidemment, en rentrant il était épuisé, donc autant dire qu'à peine son manteau retiré il dormait déjà à moitié. merveilleux.

il tente de rattraper quelques minutes de sommeil, pendant que le centre commercial ouvre timidement ses portes. de toutes façons aussi tôt le matin il n'y a que des petits vieux, et les petits vieux ça vient pas prendre de café à starbucks, c'est bien connu. du coup il a les yeux à moitié ouverts et il essaie de dormir un peu, posé contre son comptoir.
mais bien évidemment un con client débarque au moment où son cerveau commence à s'éteindre - le gars s'accoude au comptoir et avec un grand sourire de poseur, lui annonce sa commande.
cool.
le cerveau de bryone se rallume - on peut presque entendre le bruit de démarrage de windows xp résonner dans le centre commercial alors que ses yeux se rouvrent. duh. qu'est-ce qu'il veut celui-là. un café, probablement, certes.  il papillonne un peu avant de se retourner pour préparer la commande, sans même prendre la peine de lui demander son prénom - après tout il n'y a personne sauf lui à cette heure-là.
le client reprend la parole et bryone lève très haut les yeux au ciel - profitant d'être de dos pour avoir l'air saoulé. son sourire commercial s'efface pour revenir aussitôt une fois que bryone refait face au monsieur, le grand expresso dans les mains.

ça fera quatre euros cinquante s'il vous plaît.

il a pas trop envie de lui répondre pour le coup, notamment parce que... parce qu'on était huit heures du matin et que nique sa mère, mais son sens de la politesse le rattrape finalement et il prend la parole à nouveau, attendant que le jeune homme paie sa boisson.

je suis à la fac, en fait. du coup je bosse avant ou après les cours.

logique. même si bon, en général son manager s'en battait les couilles de son emploi du temps quand il aménageait ses horaires de travail - parce qu'en général il devait modifier ses horaires trois fois par semaine. mais bon.

et voilà, il baille encore une fois, le steak. étonnamment, même lorsqu'il arrive à faire des nuits de 8 heures de sommeil, il passe toute sa journée à se décrocher la mâchoire, comme s'il était dans un état de fatigue perpétuel. en le voyant de loin, toujours des larmes aux coins des yeux à forcer de bailler, on pourrait croire qu'il fait la loque et traîne toute la journée, mais il semble avoir développé une sorte de résistance qui lui permet de jacasser à toute heure, quelque soit son état de fatigue. autant dire que là, il est prêt.

dès qu'il prend le gobelet de café fumant, il prend tout de suite une gorgée avant même de fouiller ses poches pour sortir son porte monnaie. maintenant, il est encore plus prêt. prêt à quoi ? aucune idée. au moins, il a les idées claires pour compter ses pièces dans la petite grenouille en cuir qui contient sa monnaie. il met un point d'honneur à donner le compte précis : il aime bien ça, toujours avoir le compte et vu qu'il a surtout de la petite monnaie... c'est pas si mal.

encore une gorgée, puis une autre, encore une... le café lui brûle la langue mais il ne ralentit pas et en boit la moitié presque d'un coup, histoire de se donner un coup de fouet. on pourrait presque penser qu'il n'est pas du genre à discuter, qu'il a juste posé une question par politesse et pour tuer le temps mais... il reste là, au comptoir, juste devant l'employé appelé bryone, vu l'étiquette sur son tablier. pendant quelques secondes, le technicien est très heureux que son chef n'ai pas eu la même idée car sinon, beaucoup de gens se foutraient de sa gueule. satisfait du café et un peu plus réveillé, c'est le moment pour sa bonne humeur d'entrer en action.

c'est raide, ça. en même temps, tu fais bien de continuer tes études, mon petit, fait pas comme moi.

ça y est, les leçons de vie commencent. c'est dur, d'être déjà un vieillard à 21 ans à peine, mais que voulez vous... lui, ça ne l'empêche pas de sourire à fond, tellement heureux d'avoir une interaction humain après des heures tout seul devant des installations électriques, alors il profite et poursuit la discussion, avec ou sans l'accord de son interlocuteur. il se retient de parler de sa jeunesse sans but, de ses petits boulots minables... en même temps, le type en face a carrément l'air de subir un de ces fameux job pourris. il lui offrirait bien quelques mots pleins de compassion, mais ça n'arrangerait pas vraiment la situation. alors il le fixe en silence. surtout ses cheveux, en fait. steak se sent attiré par cette couleur et se pose tout un tas de questions. comment est-ce qu'il fait pour les entretenir ? est-ce qu'il utilise plusieurs couleurs en même temps pour avoir ce résultat ? comment il arrive à ne pas avoir des cheveux en trop mauvaise santé malgré des colorations fréquentes ? lui, ses cheveux sont plutôt soyeux, mais en même temps, il n'a jamais rien fait qui puisse les abîmer, même s'il ne fait rien pour les aider. il devrait peut être lui demander des conseils ?

vu le nombre de questions qu'il se pose, il faut bien qu'il lui en demande une, mais laquelle ? il va pas lui faire un monologue, au petit. il décide de prendre ce qui vient :

c'est marrant tes cheveux, n'empêche, ton chef laisse passer ? t'as besoin qu'on te remarque pour pas juste être un autre mec en tablier vert, c'est ça ?

mauvais idée, ducon. mauvaise idée.

oh non mais, non. c'est une blague. c'est un sketch. le mec a l'air décidé à lui tenir la jambe coûte que coûte. d'un côté, il comprend. le manque d'interaction humaine, c'est une de ses motivations pour continuer à aller à la fac et pour avoir choppé ce boulot. non parce que sinon il aurait préféré un truc dans les coulisses du centre commercial. pas barista dans un starbucks à la con. mais à huit heures du matin, il avait vraiment pas envie de discuter boulot et vie ratée. du coup, il fixe le vide pendant un instant, pouvant presque sentir son âme s'échapper par ses yeux pendant un instant. ioifdjgoij. non mais quel bouffon. il allait le buter. bon, en vrai, il ne le ferait probablement pas, notamment parce qu'il n'avait pas envie de perdre son travail, mais voilà. l'envie est présente.

par contre il a quel âge ce type ? il parle comme si il en avait quatre vingt alors qu'il a l'air d'avoir le même âge que bryone - voire plus jeune, parce que le rouquin n'est pas très physionomiste. sa remarque le met un peu mal à l'aise - parce qu'une semaine auparavant il avait manqué de lâcher ses études et que si on ne lui avait pas remis les idées en place, il l'aurait probablement fait - et évidemment, il décide de ne pas répondre.

alors le client décide de continuer la conversation tout seul pendant un moment, et puis finalement un silence très gênant s'installe entre les deux hommes - et l'inconnu le fixe en souriant. sans rien dire. par pitié, que quelqu'un lui vienne en aide. quelle matinée de merde sérieux.

et puis là le mec décide de lui faire une remarque un peu méchante sur sa couleur assez inhabituelle de cheveux. super. il se retient de réagir avec trop de véhémence - habitude - et se contente de hausser les épaules, regardant ailleurs vite fait. bon, que faire. il a l'habitude de se prendre moult remarques sur son apparence physique ou bien sa personnalité, honnêtement. déjà rien que dans sa promo, il n'y a pas plus ouvertement queer que lui, c'est certain. alors oui, bien sûr, les gens sont plus ouverts d'esprit, mais ça n'empêche pas quelques cons d'apparaître de temps en temps et de venir lui asséner une remarque idiote, à laquelle il peut répondre ou non suivant son humeur.

et bien sûr, au travail il n'a pas le droit de répondre. alors les remarques cinglantes, il essaie de les oublier, parce que vraiment, s'il se met à enfoncer la tête d'un client dans les donuts et autres pâtisseries exposées sur le comptoir, ça va pas le faire. mais là il est tout seul avec un client, sans personne pour venir le blâmer sur son comportement. mais d'un côté, il a vraiment trop la flemme de se battre pour un truc aussi futile. il soupire et replace vite fait une mèche de cheveux derrière son oreille, un peu emmerdé quand même.

s'il laissait pas passer, j'aurais pas eu le job.

déjà. non parce que, hors de question de changer sa couleur de cheveux pour quelque chose de plus "naturel" juste parce qu'un vieux con en aurait décidé ainsi.

et puis j'aime bien, c'est tout.

ce n'était pas forcément pour se démarquer, ce n'était aussi étrange que cela puisse le paraître, pas son genre. en vrai, il n'aurait pas pu se donner de raisons à... tout ça. le mec était roux par choix quand même. wow.

vous avez d'autres remarques à faire ou c'est bon, c'est fini ?

à tous les coups le mec allait le prendre au mot et continuer ses questions à la con.

c'est pas la moitié d'un con, ce jeune. enfin, dans le sens où il est pas con du tout et a l'air d'avoir du sens pratique. steak, par contre, c'est la totalité d'un con et il semble même pas s'en rendre compte. il ne comprend même pas que le soupir du type est une façon d'exprimer le fait qu'il aurait vraiment mieux fait de fermer sa gueule. l'attitude fatiguée et sûrement énervée de son interlocuteur ne l'arrête en rien, à vrai dire. il est là, appuyé sur son comptoir, content de lui et content de la vie.

il doit même reconnaître qu'il a de bons arguments, le barista, par rapport à ses cheveux. c'est plutôt sympa donc il a raison de bien aimer, même si lui n'oserait jamais. il a déjà peur en lisant les étiquettes avec la composition des shampoings.

t'as raison, c'est bizarre mais joli !

avant qu'un semblant de conscience suggère à steak de la fermer pour ne plus jamais l'ouvrir devant un être vivant quel qu'il soit, il reprend une gorgée de café, encore brulant et fort, mais c'est précisément ce dont il a besoin pour se sentir en forme. ... pour continuer ce qu'il fait, en pire. du coup, quand on lui propose gentiment de continuer de poser des questions, dans l'éventualité qu'il en ai encore... il va pas se gêner, ce con. pour lui, la journée est loin d'être finie. il a encore un certain nombre d'heures à tuer avant de pouvoir rentrer chez lui et essayer de finir sa nuit, alors une fois qu'il tient une proie, il ne la lâche pas. mais aveugle comme il est, il ne voit pas le jeune homme comme une proie qu'il torture mais comme un "collègue gentil" avec qui il "partage un moment complice et agréable". du coup, si on lui tend une perche, il la saisit à pleine main :

ben du coup oui car je trouve qu'ils font vraiment doux, je sais pas ce que tu me recommandes ?pour expliquer sa requête il défait sa queue de cheval, laissant ses cheveux faire à peu près ce qu'ils ont envie, c'est à dire n'importe quoi.tu vois ? ils sont un peu cassants à cause des élastiques.

encore un grand sourire, un peu embarrassé par l'état de ses cheveux, cette fois. c'est un peu étonnant de se retrouver à discuter chiffons - ou cuticules, en l’occurrence - à 8 heures à peine, alors qu'il est censé patrouiller et faire semblant de travailler, mais c'est bien plus amusant de faire ça. il devrait le faire plus souvent, tiens. si seulement son chef décide d'arriver en retard et ne commence pas de le harceler dès qu'il pose ses fesses derrière son bureau... pour une fois qu'il veut bien rester peinard.

non mais c'était quoi ce guignol, sérieusement. que quelqu'un lui vienne en aide, par pitié. il se retint de soupirer, contemplant l'idée de se rendormir aussi sec pendant que l'inconnu continuait de le harceler de questions. il était au bout de sa vie. il l'avait réellement pris au sérieux quand il lui avait demandé -avec tout le sarcasme du monde dans la voix- s'il avait d'autres questions. est-ce que c'était une putain de blague ? il avait envie de mourir. s'il y avait bien un genre de type qu'il détestait, c'était ceux qui ne captaient pas du tout le sarcasme ou l'ironie. c'était les pires.

n'empêche que bryone l'observe détacher sa queue de cheval et. ouais... ses cheveux avaient besoin de soin. en fait, ils lui rappelaient un peu les cheveux de leaf il y a quelques mois : longs, très noirs, mais aussi sec et avec les pointes niquées comme jamais. mais depuis leaf avait commencé à s'acheter des soins et des masques (parce que ça devenait grave et que bryone n'aurait jamais pu/voulu les lui couper pour les soigner) et ça allait mieux.

attendez. il était censé s'en foutre à la base, putain. mais non, évidemment, il était trop gentil et il avait commencé à lui donner des conseils vite fait, en lui parlant de leaf et tout. il en avait profité pour lever les yeux sur l'espace enfant en face de la boutique mais non, son meilleur ami n'était toujours pas arrivé. en fait, il n'avait aucun souvenir de l'horaire à laquelle leaf était censé débarquer au centre commercial. probablement pas huit heures du matin, grand bien lui fasse.

vous êtes obligé de vous attacher les cheveux ?

probablement, en fait. mais bon... ses yeux se posèrent sur l'élastique carrément cheap. c'était pas ouf pour les cheveux du monsieur ça. il disait ça, alors qu'il faisait des colorations en s'en battant totalement les couilles et en juste, euh... priant pour que tout se passe bien, en fait. il était qui pour donner des conseils sérieusement.

essayez de prendre un élastique plus détendu et plus épais, pour commencer. ce serait mieux.

genre un chouchou ou quoi. bordel mais pourquoi il rentrait dans son jeu comme ça, il ne voulait pas lui parler, à ce bouffon. et évidemment il n'y avait aucun client qui se pointait pour le délivrer de cette souffrance. même si maintenant qu'il y pensait, le gars ne l'aurait probablement pas lâché, même avec une centaine de clients qui venaient commander. ouais... super. il n'allait jamais pouvoir pioncer un peu.

ou coupez-les.

ah la la, quel coeur de pierre.

qu'est-ce qu'ils foutent ? non, sérieusement, que font-ils, ces deux, là ? heureusement que la galerie marchande est encore vide car les passants auraient sûrement l'impression d'être toujours en train de rêver, dans leur lit, en écoutant ces deux types parler chiffons et élastiques, dont l'un est terriblement joyeux, vu l'heure, et l'autre raisonnablement en train de se demander si mourir n'est pas la meilleure option.

steak, lui, est affreusement heureux d'être tombé sur un autre taré qui n'a pas l'air totalement contre le fait de parler de n'importe quoi à n'importe quelle heure. il est un petit peu gêné, en voyant l'état de ses cheveux, mais ravi de pouvoir avoir des conseils.

j'aime pas les avoir dans les yeux. et puis sinon... mon chef me traite un peu de francis lalanne ou de pédale et me dit que c'est pas clean devant les clients du centre.

il sourit un peu moins, même si ce ne sont pas vraiment les insultes de son chef qui l'embêtent tant que ça. il sait que si ce ne sont pas les cheveux, ce sera autre chose. sa tendance à se planquer pour essayer de fumer au travail, sa vitesse de déplacement, le fait qu'il ne considère pas le fait de ne rien avoir à faire comme un drame terrible, le simple fait qu'il réclame un salaire qui lui permette de vivre... bon, autant dire que les raisons ne manquent pas, alors le jeune technicien ne va certainement pas s'emmerder à en régler une pour s'en prendre 15 autres dans la tronche.

il est à deux doigts de remercier son compère qui lui propose de changer de type d'élastique juste avant que... qu'il lui dise qu'il peut aussi le couper. pendant une seconde, steak se demande s'il ne pourrait pas effectivement faire ça mais en même temps... en même temps, non, quand même pas ! il s'y est attaché, à cette tignasse incontrôlable et ne la couperait franchement pas même si les arguments sont bons. du coup, il hausse les épaules.

j'aime bien les cheveux longs je crois ? et si ça peut faire gueuler le chef...
BZZT. ... tu crois que je t'entends pas, ducon ? ... BZZT.

ce qui venait d'interrompre steak, c'était son chef, ce qui signifiait qu'il devait donc avoir maintenant commencé sa journée en confirmant bien les craintes de son employé sur le fait qu'il peut écouter en permanence ce qu'ils racontent. ... super. il espérait surtout que le gars du starbucks n'ait pas entendu car il n'avait pas très envie d'avoir à faire une thèse sur le harcèlement moral au travail. avec un peu de chance, il était en train de soupirer et de vouloir mourir, comme il n'arrêtait pas de faire depuis tout à l'heure ?

cette fois-ci, il se permet de ne pas du tout étouffer l'immense bâillement qui vient lui décrocher la mâchoire. bon, il en a marre. il s'emmerde et il veut s'en aller. il hausse un sourcil en entendant la voix grésillante qui provient du talkie du jeune homme. ah bah super, et en plus il ne se faisait pas respecter par son boss. 'manquait plus que ça. il soupire et se penche pour s'accouder au comptoir - clairement il compte bien continuer sa petite sieste dès que possible.

eh ben.

il n'a pas l'air décidé à aider. alors là, pas du tout. il cale sa joue contre son poing et bâille à nouveau, très très fort. faut croire que tout l'engouement qui aurait pu le secouer un peu avant s'est envolé très très loin, là. il soupire.

tu devrais retourner travailler, francis lalanne.

il l'observe d'en bas, ce qui est plutôt rare en soi. il a les paupières lourdes, même, bryone. et un peu envie de mourir. mais ça c'est le package habituel. il soupire à nouveau, regardant toujours steak du coin de l’œil. un silence, son attention se porte vite fait sur un duo de jeunes adultes qui se rapprochent dangereusement de son stand. merveilleux, il a des clients.

j'ai des clients.

il a des clients. ça ne le réjouit pas le moins du monde, mais voilà. ses yeux se reposent sur steak vite fait.

je finis à midi. pas besoin de repasser me voir après cette heure. bon, maintenant file.

il ne savait même pas pourquoi il lui disait ça, tiens. vivement ce soir qu'il puisse dormir.